Quelle que soit votre activité, toutes les dépenses engagées par votre société doivent être justifiées et effectuées dans l’intérêt de la société.
Un voyage dans le Pacifique sans rapport avec votre activité ? Vous oubliez évidemment.
Pourtant, lors d’un contrôle fiscal, la « théorie de l’acte anormal de gestion » peut être invoquée et amener l’administration fiscale à refuser la déductibilité de certaines charges alors que vous les pensiez justes.
Il peut arriver que cette notion d’acte anormal de gestion soit limitée par un principe cardinal du droit fiscal : la liberté de gestion de l’entreprise.
Abordons ensemble les enjeux de l’acte anormal de gestion ainsi que les conditions de fond et de preuve de celui-ci.
L’acte anormal de gestion : une notion fiscale à maîtriser
Votre entreprise a engagé des dépenses, ou a accepté de subir un manque à gagner. Lors d’un contrôle fiscal, le vérificateur considère que votre décision n’est pas conforme à l’intérêt de l’entreprise.
Conséquence : la dépense ou le manque à gagner sont réintégrés dans votre base taxable, avec des majorations et intérêts de retard. L’entreprise est alors imposée sur un montant correspondant à un profit inexistant, puisque la somme en cause a été dépensée, ou n’a même pas été perçue.
La définition juridique du dispositif
L’acte anormal de gestion a été redéfini dans dans un arrêt1 du Conseil d’Etat. D’après lui, « constitue un acte anormal de gestion l’acte par lequel une entreprise décide de s’appauvrir à des fins étrangères à son intérêt ».
En outre :
- L’acte anormal de gestion doit résulter d’une décision. En le rappelant, le Conseil d’Etat a voulu rappeler son caractère nécessairement intentionnel.
- L’acte anormal de gestion donne lieu à un appauvrissement, sous la forme d’une dépense ou d’un manque à gagner.
- L’appauvrissement doit être étranger à l’intérêt de l’entreprise.
La philosophie du dispositif
L’administration fiscale part du principe que lorsqu’une dépense est engagée à des fins étrangères à celles de l’entreprise, celle-ci ne supporte pas réellement une charge. Il s’agit alors plutôt d’un emploi de ressources.
Cela renvoie au principe2 selon lequel « le bénéfice ou revenu imposable est constitué par l’excédent du produit brut […] sur les dépenses effectuées en vue de l’acquisition et de la conservation du revenu ».
Ainsi, une dépense n’est déductible que si elle a été engagée en vue de réaliser des bénéfices.
Vous l’avez compris, c’est le contexte de dépense et de profit qui doit être analysé. Le contentieux est fréquent puisque la notion d’acte anormal de gestion laisse une grande part à l’interprétation subjective.
La part de subjectivité ne pouvant être niée, la jurisprudence a posé plusieurs jalons, notamment en matière de règles de preuve, pour limiter l’arbitraire de l’administration (cf. infra).
Mais finalement, de quoi parle-t-on ?
Après avoir dessiné les contours juridiques de l’acte anormal de gestion, il est possible d’en dresser une typologie, scindée en deux catégories :
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Engagement d’une charge injustifiée : tel sera par exemple le cas si la société prend en charge des dépenses liées à la stricte vie personnelle de son dirigeant ou si la charge est justifiée dans son principe mais excessive dans son montant.
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Manque à gagner (renonciation à recettes) : tel pourrait être le cas, par exemple, si la société décide de vendre un immeuble pour un prix nettement inférieur à sa valeur de marché, sans que le contexte ne le justifie.
La liberté de gestion comme limite à l’acte anormal de gestion
Le principe de non-immixtion
Une seule limite à l’acte anormal de gestion doit être retenue : celle du principe de non immixtion dans la gestion. En d’autres termes, l’administration fiscale n’est pas autorisée à juger de l’opportunité ou non d’une décision de gestion3. La liberté de gestion doit être souveraine.
Dans le cadre de contrôles fiscaux, ce principe est régulièrement rappelé de façon solennelle à l’administration fiscale. Évidemment, cela ne conduit pas à neutraliser l’intégralité de la théorie de l’acte anormal de gestion mais le vérificateur ne peut se borner à sa seule « appréciation personnelle » en matière d’analyse des opérations.
La gestion de l’entreprise peut, sans que l’administration ne puisse y trouver à redire, ne pas être orientée vers la recherche systématique d’un profit, « le contribuable n’étant jamais tenu de tirer des affaires qu’il traite le maximum de profit que les circonstances lui auraient permis de réaliser ».
Retenez une chose de ces lignes : la liberté de gestion peut être invoquée dès lors que vos actions de gestion sont en cohérence avec vos activités.
Et concrètement, lors d’un contrôle fiscal ?
Comme expliqué, l’administration fiscale ne peut s’immiscer dans votre gestion. En théorie, la preuve de l’acte anormal de gestion repose sur l’administration.
Cela suppose que celle-ci fasse la démonstration à la fois d’un élément matériel et d’un élément intentionnel.
Ce principe connaît toutefois des nuances lorsque l’administration entend remettre en cause la déductibilité d’une charge. De même, dans certaines hypothèses, il existe une présomption d’existence de l’élément intentionnel.
La preuve éventuellement apportée par l’administration n’est pas irréfragable. Autrement dit, il est en principe possible de la renverser en invoquant des éléments de contexte.
Maîtriser le concept de charge de la preuve vous permettra de mieux vous défendre.
La charge de la preuve dans l’acte anormal de gestion
Les principes de la charge de la preuve
La charge de la preuve porte sur deux éléments, à savoir un élément objectif et un élément subjectif :
- Élément objectif : L’administration doit apporter la preuve d’un appauvrissement de votre entreprise. Il lui incombe d’établir que l’acte passé n’a pas de contrepartie suffisante pour l’exploitation. L’appauvrissement peut revêtir soit la forme de dépenses indues, soit d’un renoncement à certaines recettes. À noter que la jurisprudence a pu considérer qu’un écart significatif était nécessairement supérieur à 20%5.
- Élément subjectif : L’administration fiscale doit également apporter la preuve que vous aviez conscience de ne pas agir dans l’intérêt de votre entreprise. Une gestion défaillante ne saurait être sanctionnée si celle-ci est involontaire. Néanmoins, la jurisprudence admet que l’administration puisse se fonder sur des présomptions. Ainsi, l’élément intentionnel est présumé exister lorsque le tiers avantagé est en relation d’intérêt avec la société.
Quelques exemples
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Exemples de présomption d’élément intentionnel d’acte anormal de gestion : renonciation à obtenir toute contrepartie financière à une concession de licence de marque6, cession par une entreprise d’un actif immobilisé pour une valeur significativement inférieure à sa valeur vénale7, octroi d’un prêt consenti sans intérêt8
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Exemples d’absence de présomption d’élément intentionnel d’acte anormal de gestion : absence de facturation d’une marge commerciale n’entraîne pas une telle présomption9, le fait qu’un créancier ne procède pas à une compensation10, le fait de céder un élément de l’actif circulant de l’entreprise, pour un prix nettement inférieur à sa valeur vénale11
Le cas particulier des charges
La jurisprudence sur la preuve de l’acte anormal de gestion en matière de charges étant particulièrement subtile, demeure une exception selon laquelle la preuve pèse d’abord sur l’entreprise.
Par exemple, si l’administration fiscale remet en cause la déductibilité d’une commission versée à un partenaire, il vous appartient d’apporter la preuve de la déductibilité de cette charge.
À cet égard, il convient de produire une facture et la preuve du paiement.
À la fourniture de ces éléments, la charge de la preuve revient à l’administration.
Si la facture n’est pas considérée comme étant régulière, l’administration doit démontrer que la charge n’est pas dans l’intérêt de l’entreprise, et nous revenons au principe présenté supra.
En cas d’acte anormal de gestion caractérisé, les conséquences peuvent être lourdes :
Moralité : Anticipez et ne négligez pas ce risque.
Les bonnes pratiques de Kauméa
Au regard de ce qui vient d’être exposé et de notre expérience en la matière, Kauméa vous conseille plusieurs bonnes pratiques pour limiter les risques de contestation :
- Justifiez l’intégralité de vos flux : Chaque opération, au cours d’un exercice, doit impérativement être justifiée par une pièce comptable. Il vous faut collecter, traiter et conserver l’information comptable, que vous soyez ou non accompagné d’un expert-comptable.
- Mettez en place un contrôle interne structuré : L’absence de processus de validation des dépenses est un risque majeur de détournement mais aussi d’acte anormal de gestion. Pour aligner les dépenses à votre activité, éprouvez votre contrôle interne !
- Évaluez chaque opération : Un doute ? Évaluez l’environnement et les effets attendus de l’opération. Et à chaque fois, documentez vos décisions.
S’il y a bien un principe qui doit demeurer dans l’esprit des dirigeants au quotidien, c’est bien celui d’acte anormal de gestion et les risques associés.
Besoin d’en parler ?
Sources bibliographiques
1 L’affaire dite Croë Suisse, arrêt du 21 décembre 2018
2 Article 13 du Code général des impôts
3 Le Conseil d’Etat le rappelle régulièrement, « il n’appartient pas à l’administration de se prononcer sur l’opportunité des choix arrêtés par une entreprise pour sa gestion » (CE, 23 janvier 2015, n°369214, SAS Rottapharm)
4 CE, 7 juillet 1958, n°35977
5 CE, 3 juillet 2009, n°301299
6 CE, 10 février 2016, n°371258, SA Hôtels et Casino de Deauville
7 CE, 21 décembre 2018, n°402006, Croë Suisse
8 CE, 28 mars 2008, n°277522, SA Clément
9 CE, 23 janvier 2015, n°369214, Rottapharm
10 CE, 22 février 2017, Société Altran technologie
11 CE, 4 juin 2019 n° 418357, Sté d’investissements maritimes et fonciers
Pour aller plus loin
Lisez l’une des excellentes chroniques d’Olivier Fouquet, haut fonctionnaire membre du Conseil d’État